Un pont nommé Bonhomme

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D'un côté Lorient, la ville industrieuse. De l'autre, les paroisses de Merlevenez,  Riantec, Locmiquélic, Port-Louis,Kervignac et tant d'autres encore, riches contrées maraîchères et cidrières et surnommées  « Terre Sainte » tant les chapelles, prieurés, églises et autres haltes sacrées y furent légion. Pour les relier, rien ou presque, sauf à faire le long détour par Hennebont, la « ville -pont ». Pas pratique ! 
Ainsi furent décidésdans les années 1870, tandis que s'effondrait Napoléon III, l'hôte de marque du Port Louis, les premiers repérages d'un nouveau lieu de passage. Qui fut bientôt repéré : le rocher du Bonhomme.

 Le Blavet, à cet endroit, se rétrécit, avant de prendre le large vers la Rade. Ce lieu est dit « du Bonhomme » car il  y existe une roche ayant une forme humaine. C’est l’endroit même où se tenait, naguère, le passeur du « bac de la Coutume ». Mais les traversées y étaient risquées, en raison de courants bien marqués dus aux marées. 
Sur les registres « Baptêmes, mariages et sépultures » des archives départementales, on peut ainsi lire que, le 30 mai 1681, une trentaine de personnes se noyèrent en empruntant ce bac. 
Parmi ces victimes « enterrées en l'élise de Quervignac », on trouve : François le Livec, Janno le Querez, François Allain, Jean-Marie le Cloerec, Noël le Cloerec, Yves Madec, Noël le Coachon, François le Portz, François le Bourhis, Jan Audic, Jean le Méec, Julien Cado, Bretrand Cado, Marc le Ganivet , Noël le Carour, Guillaume le Bihan, « laboureurs et artisans noyés au passage de la Coutume ». Ainsi que Marie le Padellec, « servante », François Jegado, « de Nocqunolay », et « une enfant », Jaquette Jégo.
Trente ans furent nécessaires pour que la construction de ce pont soit décrétée. C'est l'ingénieur français Ferdinand Arnodin (1845-1924), réputé pour ses ouvrages d'art aussi impressionnants que futuriste et connaissant bien le site puisqu'il était marié à une Ploemeuroise, qui fut chargé de l'ouvrage. Cet ingénieur avait d'ailleurs travaillé auparavant sur le pont de Kermelo, sur le Ter. 

Ferdinand Arnodin devint le « concessionnaire-constructeur »  de ce pont, ayant obtenu en sa faveur la mise en place d'un péage sur son pont pour rembourser ses travaux. Péage qui dura jusqu’en 1930.  

Ainsi naquit ce pont à haubans, à « fil de fer » comme on le disait à cette époque.  Inauguré en 1904, il avait une portée de 163 mètres entre les piles maçonnées en granit. De part et d’autre des deux piles : 37 mètres au dessus du vide à 27 mètres au-dessus du fleuve !   
Les  piliers-supports s’élèvent à 47 mètres. Tout là-haut, un couple de deux  petits Bretons moulés dans la résine, en costume, se font face d’une rive à l’autre. L'homme est du côté Kervignac et la femme à Lanester. Amour figé, impossible.
Sur les pentes rocheuses, on élève des arches maçonnées de chaque côté pour rejoindre le tablier central à niveau égal et de même largeur, 4 mètres 40, pour un bon croisement des véhicules. Au final, plusieurs heures gagnées pour les marchands partis à la conquête d'une clientèle nouvelle à Lanester, reconnue ville à part entière dés 1909.

 Ce premier pont résistera 70 ans aux usures du temps et des passages. D'un entretien coûteux, exigeant un cantonnier logé sur place, il fut racheté par le département en 1934, avant son classement au titre de monument historique. Les dégâts subits durant la seconde guerre, furent réparés par l’entreprise Arnodin elle-même. 
Mais il fallut bientôt se résoudre à sa démolition, parallèlement à la construction d'un nouveau pont inauguré en 1974. Ce dernier, en béton précontraint,  détiendra quelque temps le record du monde de portée des ponts à béquilles. Les vestiges de l'ancien restent fort bien entretenus, par chance, ainsi que les résines fraîchement repeintes de sa bonne femme qui tend, tendrement, une tabatière à son bonhomme.

                                
Daniel FAURIE.