Vendredi 7 mars 1698 : l’ »Amphitrite », une frégate trois mâts à deux ponts de 600 tonneaux quitte la Rade lorient pour la Chine avec une centaine d’hommes d'équipage mais aussi huit « miroitiers » chargés de retailler les glaces en cas de casse. Car le navire, affrété par un riche négociant, Jean Jourdan, sous l’égide de la Compagnie des Indes, embarque dans ses soutes une très importante cargaison de miroirs inventés en France dix ans plut tôt.
Deux ans plus tard, le 7 août 1700, l’Amphitrite s’amarre à Port-Louis, de retour de son long périple. A bord, des chinoiseries, bien sûr, mais aussi les mêmes miroirs français dans leur caisse d'origine. A la seule différence près qu’entre-temps, dans le port de Canton, ces miroirs ont été débarqués, déballés et peints à l’arrière du verre à l’effigie de grands bourgeois de la rade et d'ailleurs avant d’être ré-emballés et embarqués pour la France et leur riches destinataires qui avaient pris soin d’accompagner leur miroir d’une miniature de leur visage.
« Ce négoce étonnant a fait fureur durant de nombreuses années. Cette mode s’était répandue en France mais aussi dans de nombreuses Cours européennes », explique Thierry Audric, diplomate et chercheur français spécialiste de l’histoire de la peinture sous verre, aussi appelée « fixé sous verre ».
« Dans un premier temps, dés 1601, des jésuites, dont plusieurs peintres renommés tels que Matteo Ricci ou Josepe Castiglione, s’étaient installés en Chine. C’est là qu’ils ont appris à certains de leurs confrères locaux, réputés de leur côté pour leur méticulosité inégalée, l’art du portrait que les Chinois maîtrisaient mal jusque-là. Notamment en leur apprenant la perspective pour le fond de portrait, les ombres portées ainsi que la prise d’angle du modèle jusque là uniquement figuré de face ».
« Plusieurs de ces peintres chinois, ayant appris par les Jésuites, lé récente invention en France des miroirs, s’installèrent à Canton, seul port chinois, alors, pour le négoce avec l’Europe, et commencèrent à travailler sur les fameuses glaces importées dont ils retiraient le tain sur la face arrière. Travaillant avec des peintures à l’huile à base de pigments essentiellement importés d’Europe, eux aussi, les peintres de Canton reproduisaient très fidèlement les portraits de riches européens exécutés à l’Occident. Puis ils repassaient une couche de suie sur l’arrière de la glace, pour remplacer le tain, et le miroir, avec son modèle miniaturé, repartait dans sa caisse dans les soutes des navires occidentaux ».
« Arrivés à bon port, ces - portraits chinois - firent longtemps fureur dans les salons huppés grâce à leur finesse inégalée mais aussi un ton et des rendus de couleurs uniques. Seul petit problème : les artistes chinois avaient tendance à augmenter la proportion des visages et à conserver, parfois, une touche exotique légère dans les regards ou d’autres traits. Les résultats étaient parfois étonnants mais la mode dura jusqu’à ce que des peintres américains, puis européens, se lancèrent à leur tour dans cet art moins d’un siècle plus tard. Portant un coup fatal, du coup, aux fameux ateliers de Canton